Guerre et désolation : L'effondrement de l'agriculture dans le sillage du M23 au Nord-Kivu - Tazama RDC
Guerre et désolation : L’effondrement de l’agriculture dans le sillage du M23 au Nord-Kivu

Guerre et désolation : L’effondrement de l’agriculture dans le sillage du M23 au Nord-Kivu

Les effets de la guerre du M23 sont innombrables et ont touché toute la vie socioéconomique de la population du Nord-Kivu. De Rutshuru à Masisi, de nombreux habitants ont été déplacés par la guerre et se retrouvent désormais sans nourriture ni abri, bien qu’ils soient propriétaires de maisons et de champs productifs dans leurs villes d’origine. Les déplacés les plus touchés sont ceux qui pratiquaient l’agriculture, principale et lucrative activité à Masisi et Rutshuru, et qui se retrouvent maintenant dans des abris de fortune, affamés, sans même rien à offrir à leurs familles si les humanitaires ne sont pas passés pour distribuer de l’aide.

La guerre a mis les agriculteurs locaux en difficulté. Avec l’entrée des troupes rebelles à Rutshuru et dans le territoire de Masisi, l’agriculture a rencontré de sérieux problèmes. Entre l’abandon des champs, la détérioration des semences et des produits prêts à être récoltés en raison de l’inaccessibilité, du vol et du pillage des produits par l’ennemi et certains éléments de la force loyaliste, ainsi que la propagation des maladies des plantes sur de vastes étendues de terres, les agriculteurs et les ingénieurs agronomes ne peuvent que constater les dégâts.

« C’est depuis que le territoire de Masisi a été envahi par le M23 que le secteur de l’agriculture a connu de sérieux problèmes », explique dès le départ l’ingénieur Chalom Machumu Maneno, inspecteur territorial de l’agriculture dans le territoire de Masisi. « Dès que les gens ont fui en abandonnant les champs, toutes les cultures qui étaient en place ont été récoltées par les rebelles. Pour les champs qui n’étaient pas accessibles, tous les produits se sont détériorés sur place », explique ce superviseur des activités agricoles à Masisi.

Avant la guerre, certaines cultures étaient déjà affectées par des maladies des plantes. Certains agriculteurs expliquent même qu’à partir de 2021, dans les territoires de Masisi et Rutshuru, les bananiers étaient déjà touchés par la maladie bactérienne et les plants de manioc étaient régulièrement attaqués par la mosaïque du manioc. Ces agriculteurs craignent que, après la guerre, leurs efforts pour lutter contre ces maladies dans leurs champs soient anéantis. Une crainte partagée par l’ingénieur Shalom Machumu Maneno, qui explique qu’avant la guerre, ses services étaient déjà en train de maîtriser la maladie bactérienne des bananiers. Selon lui, grâce aux efforts des scientifiques et des équipes sur le terrain, cette pathologie commençait à être éradiquée, avec une certaine restauration des plantes et une récupération de bonnes parties des plantations, mais le fait d’abandonner les champs et les plantations a inversé cette tendance.

Dos au mur, les agriculteurs voient leurs rêves brisés. Depuis plus d’une décennie maintenant, le discours des autorités politico-administratives a changé à l’égard de la jeunesse congolaise. Les leaders politiques n’appellent plus les jeunes à prendre les armes pour mener des guerres ethniques et politiques, mais les encouragent à l’auto-prise en charge et à l’entrepreneuriat. Lors de son premier mandat, le président Félix Tshisekedi s’était montré très ambitieux dans le secteur agricole. « Je vous assure de mon engagement à toujours faire plus pour le développement du secteur agricole. Il est temps que le sol prenne sa revanche sur le sous-sol. Le défi est certes immense et les enjeux sont nombreux. Nous sommes sur la bonne voie (…) Aucune province de la République Démocratique du Congo ne restera à l’écart de cette marche vers l’autosuffisance alimentaire », avait-il déclaré en octobre 2019 lors de l’inauguration du deuxième plus important laboratoire agricole d’Afrique subsaharienne dans la province du Sud-Kivu.

Séduits par ces discours et d’autres sensibilisations, certains jeunes se sont lancés dans l’agriculture. Certains ont réussi dans leurs initiatives, mais la guerre est venue tout bouleverser, faisant disparaître leurs investissements comme de la poussière dans le désert. Philémon Ruzinge, jeune étudiant et militant du mouvement citoyen LUCHA à Goma, est l’un de ces jeunes entrepreneurs agricoles directement victime de la guerre du M23. Il a perdu un investissement considérable à Mushaki et Ngungu, deux localités du territoire de Masisi, simplement parce qu’il était de la communauté Hutu. « Avant la guerre, j’avais cultivé quatre hectares de pommes de terre, dont deux à Ngungu et deux autres hectares à Mushaki. J’ai été attaqué en raison de mon appartenance ethnique. En peu de temps, les éléments du M23 avaient réussi à récolter mes pommes de terre et même à voler la semence que je prévoyais d’utiliser dans un autre champ. C’est un coup dur pour notre vie entrepreneuriale », explique-t-il avec émotion.

Et d’ajouter : « J’ai aussi perdu mes vaches. Ils ont emmené mes dix vaches à travers plusieurs localités pour une destination inconnue. Nous n’avons plus accès à nos champs simplement parce que nous refusons de collaborer avec eux. C’est un véritable déchirement pour nous. Personnellement, je luttais pour l’économie agricole. Aujourd’hui, j’ai honte de devoir acheter des pommes de terre au marché. C’est difficile pour moi ».

L’après-guerre reste un mystère sombre. Après la guerre du M23, chaque citoyen congolais, en particulier ceux du Nord-Kivu, devra faire face à des problèmes spécifiques. Dans le territoire de Masisi, les agronomes devront restaurer les champs et éradiquer les maladies des plantes. Les agriculteurs, quant à eux, devront résoudre de nombreux problèmes, notamment celui du financement pour relancer leurs activités et celui de se confronter à leurs bourreaux, qui ont soit agi en tant qu’éclaireurs des destructeurs de leurs champs, soit même en tant que commanditaires des méfaits. Certaines sources dans la région expliquent que souvent les pillages et destructions sont généralement menés ou commandés par des individus locaux, qui ont soit rejoint la rébellion du M23, soit intégré des groupes de résistants patriotes appelés WAZALENDO.

Franck Kaky

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