Beni/ADF : Un monde noir entre promesses et réalités des opérations militaires - Tazama RDC
Beni/ADF : Un monde noir entre promesses et réalités des opérations militaires

Beni/ADF : Un monde noir entre promesses et réalités des opérations militaires

Ces personnes sont tuées soit par armes blanches chez elles, sur les principales artères, de jour comme de nuit, et d’autres par armes à feu. En raison de ce chiffre, 6 personnes sont tuées chaque jour dans cette partie du pays, exposée aux barbares posées par ces terroristes originaires de l’Ouganda.

Un début terrifiant sans issue

Depuis le début des tueries en 2014 après Ngadi et dans une localité voisine le 15 octobre 2014 avec une trentaine de 30 morts, et Mavivi, le 21 novembre avec 50 personnes tuées, aucune solution durable n’a été trouvée, malgré une certaine pression des responsables ecclésiastiques, de la société civile, voire politique. Suite à cette situation, la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) avait dénoncé ces massacres perpétrés depuis longtemps dans un silence « honteux, coupable et complice » de la communauté internationale. En 2014, Mgr Marcel Utembi, président de cette organisation ecclésiastique, avait condamné « sans réserve ces actes ignobles et en avait appelé aux autorités congolaises garantes de la sécurité des populations et de leurs biens, pour faire tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter ce cycle d’atrocités ».

« Ce fléau de violation récurrente de la vie humaine semble être un fait banal (…). Nous appelons pour la énième fois le gouvernement et la Mission de l’ONU en RDC à tout mettre en œuvre pour arrêter ces tueries », avait-il martelé dans un communiqué.

L’horreur sans horaire heurtée à l’abattoir devant un laboratoire des opérations militaires sans succès

Pratiquement chaque jour, Beni compte son lot de morts malgré des opérations militaires sujettes à de vives critiques, mais parfois aussi associées à des manœuvres visant à ternir l’image de l’armée. Depuis le début des massacres, les secteurs de Beni-Mbau, de Rwenzori et Bolema sont les plus touchés par ces affres de honte, truffées de l’absence du caractère humain chez les auteurs et les manipulateurs à tous les niveaux.

Des scènes de terreur deviennent de plus en plus quotidiennes au sein de la population civile qui assiste à son calvaire dans un silence inouï de la communauté internationale, caractérisé par une sorte de méfiance face à des morts et des actes odieux. Des femmes enceintes éventrées, des bébés mutilés, des êtres humains ligotés et égorgés à l’arme blanche, sont devenus le lot quotidien de ce peuple qui ne demande que la paix et la sécurité pour vaquer paisiblement à ses activités.

La chute d’un héros

Après avoir vaincu les rebelles du M23 en 2013, une rébellion soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, le colonel Mamadou avait été mal vu par certains de ses collègues officiers, complices de plusieurs exactions contre les civils dans la région de Beni. Considéré comme un héros, ce triomphalisme, associé au patriotisme incarné par cet officier militaire, ne lui avait pas permis d’accomplir l’œuvre qui lui avait été confiée par le commandant suprême, Joseph Kabila, alors chef de l’État. Déterminé à traquer les ADF comme il l’avait fait avec le M23, l’officier s’est vite retrouvé trahi par ses propres frères d’armes. Plusieurs sources au sein de l’armée indiquent que l’assassinat du colonel Mamadou Ndala est un règlement de comptes des anciens membres du CNDP, pour la plupart d’origine rwandaise, contre celui qui avait vaincu le M23, soutenu par le Rwanda. On se souvient également de l’arrestation du colonel Tito Bizuru, ancien commandant de la ville de Beni. Son accusation découlait de la même thèse, celle de rendre des comptes au colonel Mamadou. Il est vrai qu’après la mutinerie menée par plusieurs anciens combattants du CNDP en avril 2012, qui a déclenché la rébellion du M23, le colonel Bizuru n’a pas fait défection, mais rien n’assurait qu’il n’était pas resté en contact avec des amis. Assassiner Mamadou était la piste la plus favorisée et priorisée par ces officiers traîtres, car ce dernier venait conclure un travail qu’ils n’avaient pas pu réaliser, à savoir neutraliser et anéantir l’ADF, qu’ils combattaient depuis 2009. Ils avaient préféré transformer la zone d’opération de Rwenzori, où se cachait l’ennemi, en zone de commerce. Certaines sources recoupées par le magazine Jeune Afrique indiquent que des arrangements entre le commandement militaire de Beni et les chefs rebelles de l’ADF avaient été conclus pour faciliter le commerce du bois, du cacao, du café, et en tirer profit. Malgré le procès sur l’assassinat du colonel Mamadou, les coupables errent toujours en liberté.

Les opérations militaires censées nettoyer touchent des saletés ?

Lancées le 16 janvier 2014, quelques jours après l’assassinat du colonel Mamadou, les opérations militaires dans la zone n’ont toujours pas donné les résultats attendus. Il semblerait que les problèmes à l’origine de l’assassinat du colonel Mamadou n’aient jamais été résolus. À Beni, plusieurs officiers semblent plus concentrés sur les affaires que sur les opérations. On se rappelle de la mise en garde du général Akili Mundos, il y a 9 ans, le 07 mars 2015, contre les trafics de bois, de café et de cacao dans le territoire de Beni. Il faisait état des allégations sur l’implication de certains officiers de l’armée congolaise, notamment dans l’exploitation et le commerce de ces produits.

« On ne peut pas combattre les rebelles de l’ADF sans couper leurs sources de financement », avait, à son temps, expliqué le général Mundos.

L’intervention de l’UPDF auréolée par le succès éphémère, et conspuée

Lancées depuis novembre 2021, les opérations militaires dénommées « Shujaa », menées par les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et l’armée ougandaise, se poursuivent sur le territoire congolais, notamment dans la région de Beni. Ces opérations ont connu jusqu’à présent du succès dans le secteur de Rwenzori voisin avec la République de l’Ouganda. Grâce à ces opérations, plusieurs poches de rebelles ont été détruites, ainsi que leurs bases et bastions dans la vallée stratégique de Mwalika. On compte plus de 1000 rebelles neutralisés et plusieurs autres capturés, y compris des officiers ainsi que des repentis. Malgré cela, les ADF se sont répandus dans d’autres parties de la zone où ils continuent leur cycle de violences. Malheureusement, ces opérations n’ont pas été couronnées de succès dans d’autres parties de la région, ce qui a conduit le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC) et son partenaire de recherche Ebuteli à conclure, dans leur rapport du 20 octobre 2023, que ces opérations ont échoué.

Dans ce rapport, cette organisation s’interroge si ces opérations avaient pour objectif de combattre les ADF ou de sécuriser les intérêts économiques de l’Ouganda.

« Le problème maintenant, les ADF ont certes été repoussés de certains bastions qu’ils occupaient précédemment. Mais finalement, ils ont été plutôt dispersés. Ils ont opéré par la suite dans d’autres zones où ils étaient beaucoup moins présents : à Mambasa, Butembo, parce que cette ville n’avait jamais été touchée par les attaques des ADF », a confié Pierre Boisselet, coordinateur des recherches sur la violence à Ebuteli.

Grâce à ces opérations et à l’évaluation en Ouganda de la 3ème phase de ces opérations, le président ougandais a précisé que les frontières restent sûres, à l’exception des effets de débordement causés par les activités de groupes armés négatifs dans l’est de la RDC. L’objectif était de repousser la menace ADF loin de l’Ouganda pour valoriser et favoriser le climat des affaires.

« Je tiens à assurer aux Ougandais et aux investisseurs que l’Ouganda est un pays sûr et pacifique. Les récents incidents isolés d’utilisation abusive d’armes à feu et de meurtres d’innocents sont traités avec une réponse immédiate », a argué, le président Ougandais Yoweri Museveni.

Habituée aux morts, la population civile court le risque de s’habituer à ce théâtre sanglant si rien n’est fait dans cet espace où la vie humaine est banalisée. Plusieurs rapports des ONG rapportent que cette situation a déjà affecté l’économie de la zone, avec un impact sur la vie sociale de la population. Le gouvernement congolais, davantage préoccupé par l’agression rwandaise, devrait porter son attention sur cette situation qui décime peu à peu les vies humaines. Certains estiment que pour permettre la réussite des opérations militaires dans cette zone, il faudrait éliminer les éléments traîtres au sein des FARDC en améliorant les conditions sociales des militaires. Ainsi, pour éviter les détournements de fonds affectés aux opérations ainsi que la corruption, il faudrait doter l’armée d’une inspection militaire des finances fiable pour contrer la mafia.

La rédaction

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