Proposition de loi fixant la dot en RDC: Que dit le droit Congolais? (Tribune du chercheur congolais Christian Bahati Ruvunangiza)
Depuis quelques jours déjà, la question de la proposition de loi du député national Daniel Mbau, réglementant le taux de la dot, défraye la chronique dans les médias congolais ainsi que dans les réseaux sociaux. Cette dernière soulève des inquiétudes tant juridiques, sociologiques que morales.
Quelle est la nécessité de cette proposition de loi dans la société congolaise ? N’est-elle pas contraire aux mœurs et coutumes congolaises ? Est-il possible et réaliste que le taux de la dot soit fixé par une loi ou tout autre acte réglementaire selon les réalités congolaises ? Le taux fixé par cette proposition de loi est-il réaliste en RDC ? Cette pratique ne serait-elle pas une manière de porter atteinte à l’honneur de la femme ?
Dans cette tribune que vous propose Tazama RDC, Me Bahati Christian Ruvunangiza revient sur ce que dit le droit Congolaise en la matière et le caractère que relève la loi Mbau.
Christian Bahati Ruvunangiza est assistant à l’Université Libre de Grands Lacs/Bukavu, plaideur et chercheur au centre de recherche en développement socio-économique (CERDESE).
La réglementation du taux de la dot par le pouvoir public.
A l’époque de nos grands-parents, la dot n’était qu’un simple geste traditionnel basé sur les coutumes locales des familles des deux amoureux et particulièrement la famille de la jeune épouse, cela donnait au mariage tout un sens. La société congolaise étant en train de subir une mutation, la dot n’en reste pas indifférente. Elle s’évalue aujourd’hui en monnaie de banque et certains chercheurs vont jusqu’à confirmer qu’elle est devenue une corvée pour le futur mari. « Certains jeunes tardent à se marier non pas par manque d’amour, mais par manque des moyens pour la dot », écrit Éric NSUNGU.
Plusieurs fiançailles sont brisées au motif que le futur mari n’a pas été en mesure de débourser le montant qui lui a été imposé par la famille de la fiancée en terme de dot.
Cette situation justifierait-elle l’intervention du législateur en la matière ?
Notons que la loi a pour mission de réguler la vie dans la société. Partout où se pose une situation anarchique, nécessite une règlementation. Ceci dit, est-il possible et réaliste que le taux de la dot soit fixée par une loi ou tout autre acte réglementaire ?
En effet, en droit congolais la dot est une des conditions de fond de formation de mariage ainsi que l’indique l’article 362 du Code de la famille qui dispose : « Le mariage ne peut être célébré que si la dot a été versée au moins en partie ». L’on ne peut donc pas imaginer un mariage sans dot. Tel n’est pas pourtant le cas du droit Burundais ou même Rwandais, où le mariage n’est pas conditionné par le versement de la dot.
Celle-ci constitue en droit congolais un ensemble des biens ou d’argent que le futur époux et sa famille remettent aux parents de la future épouse qui acceptent. Les biens sont apportés par le mari ou les siens non pas au profit du ménage, de sa femme ou des enfants à venir, mais plutôt en faveur de la famille de la femme.
Dans sa mercuriale prononcée en 1974, Kengo wa Dondo rapportait que dans nos sociétés à civilisations orales, la dot constituait une preuve de la conclusion d’un mariage.
Le fait que la dot ait pris une forme uniquement financière, ne suffit pas en elle-même pour pousser les députés nationaux à formuler des propositions de loi allant jusqu’à fixer le taux car l’article 361 reconnait en lui-même que la dot peut être « un bien ou argent ». Notons que l’article 363 du même Code de la famille prévoit que la dot est déterminée suivant les us et coutumes des futurs conjoints.
Au-delà de ces considérations d’ordre juridiques, la RDC est un vaste pays composé de plus de 450 tribus. Cela implique que la valeur et la forme de la dot varient selon donc la coutume de chaque tribu.
Chez les BAHUNDE par exemple, on renseigne : « mukasi atadfa bitwe », veut dire que chez les bahunde, la dot ne doit pas être considérée comme un achat. Ici la famille du fiancé verse chez la fiancée en terme de dot, des pierres précieuses appelées « mataale », plus tard avec l’évolution ils ont opté à une dot de 14 chèvres appelées « malinda biri », qui signifie sept fois 2.
Chez les Tembo, la femme est considérée comme une bénédiction divine. La dot est ainsi considérée comme un remerciement à la famille de la future épouse. D’où l’adage « Mukasi ataulwa ». Chez eux aussi la dot est généralement composée de 14 chèvres appelées « Malinda Mabiri » qui veut dire sept fois 2. A cela on ajoute un costume, un pagne, etc.
Chez les Nande, la dot est composée de 12 chèvres et d’autres biens. Chez les shi la dot est fixée généralement en termes de vaches (2), auxquelles on ajoute de chèvres, houes, mais cela peut varier selon les avoirs de la famille du futur époux. La grande problématique réside dans la fixation de la valeur de la vache ou de la chèvre. Certains accordent à la vache un prix de 300, 400, 500, 1000 $, voire plus. La chèvre à 50, 100, 200$, voire aussi plus. J’estime que sur la question de la fixation du taux de la dot, cette proposition de loi devrait se limiter là-bas.
Nous trouvons donc difficile voire inapproprié de fixer le taux de la dot en RDC en monnaie de banque dans une loi, sans heurter nos valeurs coutumières ainsi que la dignité de la femme car il n’a jamais été question dans nos coutumes de fixer la dot en monnaie de banque. La femme ne devrait pas être considérée comme un bien ayant une valeur économique.
Le traitement différencié de la femme urbaine avec celle rurale.
Cette proposition de loi renseignerait que la femme urbaine serait dotée à 500$ pendant que celle rurale à 200$. Pourtant l’article 12 de notre Constitution dispose que tous les congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection par les lois. Ce traitement différencié de la femme urbaine à celle rurale marque non seulement un mépris mais aussi une discrimination à cette dernière car aucun critère objectif ne soutien cette démarche. Si déjà la coutume instaure une différence naturelle, il serait inadmissible que la loi vienne consacrer une inégalité formelle.
Notre position
S’il fallait oser, cette proposition de loi devrait fixer le minimum et le maximum que ne devrait pas dépasser les futurs conjoints. Ce taux ne devrait pas être fixé en monnaie de banque mais plutôt en biens matériels selon les valeurs coutumières de chaque tribu (vaches, chèvres chiens, …). Il est d’ailleurs soutenu que le Code de la famille dans son ensemble voulait traduire la mentalité congolaise.
Nous ne partageons pas non plus l’avis de certains auteurs qui soutiennent que la dot devrait être supprimée, mais plutôt elle ne doit plus constituer une condition sine quanone pour qu’il y ait mariage. Elle devrait être une option pour les futurs époux comme au Burundi, au Rwanda ou encore au Sénégal.
Toutefois, l’on ne devrait pas perdre de vue le fait que, depuis 1987 lors de l’adoption du code congolais de la famille et modifié en 2016, il avait été indiqué qu’une ordonnance présidentielle devrait intervenir pour fixer le taux de la dot. L’on avait trop attendu, mais celle-ci n’est jamais intervenu, certainement qu’elle a été confrontée à des difficultés liées à la multitude des tribus existantes en RDC.
Christian Bahati Ruvunangiza, Assistant à l’Université Libre de Grands Lacs/Bukavu, plaideur et chercheur au centre de recherche en développement socio-économique (CERDESE).