
RDC: La Culture du cacao, une menace sur des cultures vivrières au Nord-Kivu et Ituri
Reconnue comme culture de prédilection dans la région de Beni, et de l’Ituri, dans l’Est de la République démocratique du Congo, la culture du cacao présente à la fois un avantage sur l’économie locale et nationale, et une menace contre d’autres cultures, dans cette zone où la population vit essentiellement des activités champêtres menacées par la guerre.
Selon l’ingénieur Roger Kakulirahi Kambale, la préférence de la culture du cacao s’explique dans cette région par son attractivité économique. Contrairement à certaines cultures vivrières comme le manioc, le maïs ou le riz, le cacao offre un revenu stable et plus élevé, surtout dans un contexte où les marchés agricoles sont souvent instables. Il ajoute aussi que plusieurs organisations internationales encouragent cette filière à travers des programmes de soutien technique, de formations et l’accès à des marchés d’exploitation notamment en Ouganda au Kenya voire en Europe.
Kakulirahi, explique que l’attractivité de cette culture, est également motivée par son caractère de pérennité. « Le cacao est une culture pérenne. C’est-à-dire elle entre en production après 3 à 5 ans. Le cacaoyer peut produire pendant 25 à 30 ans si bien entretenu. La culture offre deux grandes saisons de récolte par an. Cela sans compter les petites récoltes mensuelles », révèle-t-il.
La culture de cacao n’a pas que les avantages, elle a également des conséquences sur la vie agricole de la population. D’abord, cette culture entraîne plusieurs impacts directs et indirects sur les autres cultures notamment la réduction de la diversité agricole et la pression sur les terres cultivables. L’expert agronome, affirme que de nombreux agriculteurs, attirés par les revenus du cacao abandonnent progressivement les cultures vivrières comme le manioc, le maïs, le riz ou les haricots. « Cela fragilise la diversité agricole locale, essentielle pour la sécurité alimentaire. Le cacao étant une culture pérenne qui occupe le sol pendant plusieurs décennies, il réduit la disponibilité des terres pour les cultures saisonnières. Dans les zones où la terre est limitée, cela peut causer des conflits fonciers et exclure les petits agriculteurs », mentionne Roger Kakulirahi, qui évoque également, le problème de vulnérabilité économique et le déclin des pratiques agricoles locales.
« En misant presque uniquement sur le cacao, les producteurs deviennent dépendants d’un seul produit. Si les prix chutent sur le marché mondial, ou si une maladie frappe les plantations (comme la pourriture brune), les conséquences peuvent être dramatiques. Cela affaiblit la résilience économique des communautés. », dit-il, et explque que « la spécialisation sur le cacao peut aussi entraîner l’abandon de savoir-faire traditionnels liés à la culture vivrière, ce qui compromet la transmission de certaines techniques agricoles aux jeunes générations ».
Hausse des prix des denrées alimentaires
L’absence de producteurs vivriers, favorise la disette dans la région, explique pour sa part l’ingénieur Otomobile Heri. Selon lui, à la suite de ce phénomène, la quantité de nourriture locale disponible diminue. Otomobile fait savoir que cette situation provoque une augmentation des prix des produits alimentaires sur les marchés locaux, affectant surtout les ménages pauvres, d’où la nécessité d’une politique agricole soutenue pour éviter l’importation d’autres aliments.
« L’installation des cultures de Cacao sur tous les greniers agricoles dans les provinces du Nord-kivu et de l’Ituri n’est pas seulement un simple remplacement ou une simple menace mais c’est aussi une culture, s’il n’y a pas une politique agricole soutenue, qui expose ces deux régions à une disette et cela imposera l’importation de toute sorte d’aliments jadis produit localement car la culture de Cacao élimine toute culture vivrière en association », fait-il savoir.
Il fustige, qu’aucune organisation ne focalise ses programmes sur la vulgarisation des cultures vivrières, dans la région, ce qui expose de plus la population à une culture inefficace. Otomobile précise que peu avant que la culture du cacao ne puisse amplifier la région par son attirance, les cultures vivrières, alimentaient la région. Depuis que les cultivateurs ont tourné le dos à cette culture, la région devient de plus en plus dépendante de l’extérieur, ce qui ne se faisait absolument pas.
« Avant 2016, le haricot produit à Mutwanga, dans la vallée de Mualika et dans le Nyaleke, nourrissait la ville de Beni, Butembo, Kisangani et même Kinshasa mais actuellement toutes ces villes se nourrissent du haricot provenant de Tanzanie et dans d’autres pays. En plus, il y avait une quantité énorme du riz produit à Mangina, Nobili, Halungupa, Mabule, Manzembe et Kyatenga, mais actuellement toutes les rizières sont remplacées par les Cacao. Si cela ne suffit pas, la farine de manioc qu’on produisait à Bwerere, Kisima, Butotolya, wenemulya, Mwenda … était exporté en Ouganda, soit, c’est le Nord-kivu qui alimentait l’Ouganda en farine de manioc et en banane plantain… mais actuellement on commence à importer le manioc de l’Ouganda…. c’est-à-dire d’une part notre économie se dégrade… » .
L’expert agronome craint qu’à l’absence d’une politique agricole soutenue dans le Nord-kivu, le Cacao et peut-être aussi le macadamia vont éliminer d’autres cultures et malheureusement, peut-être dans le futur, on échangera 1kg de Cacao contre 1kg du riz, du haricot ou même du maïs.
De ces explications répétées et soutenues on peut comprendre que la culture du cacao, bien que très rentable, peut avoir un impact négatif important sur les autres cultures si elle n’est pas intégrée dans une stratégie de diversification agricole. Il est donc essentiel d’encourager un équilibre entre les cultures de rente et les cultures vivrières, pour garantir à la fois la sécurité alimentaire et la stabilité économique des populations.
Azarias Mokonzi