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RDC : A l’Est, les paroles de Tshisekedi sur la paix peinent à convaincre les victimes de la guerre

RDC : A l’Est, les paroles de Tshisekedi sur la paix peinent à convaincre les victimes de la guerre

En cette fin du mois d’octobre, le président de la République Démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, a pris la parole pour s’adresser aux populations des provinces du Nord et du Sud Kivu. Dans un message solennel, il a rendu hommage aux martyrs de l’histoire récente et rappelé l’engagement de l’État à restaurer la paix et la sécurité sur l’ensemble du territoire national.

« Mes très chers compatriotes, mes frères et sœurs du Nord et Sud Kivu, en cette fin du mois d’octobre, je prends la parole pour m’adresser à vous, à vos familles, à vos communautés, à vos cœurs blessés. Octobre n’est pas, pour vous, un mois ordinaire. Ce mois porte les cicatrices de l’histoire. Il porte les noms de celles et ceux qui se sont dressés, mains nues, contre l’humiliation, l’occupation et l’injustice. Il porte le visage de ceux qui ont donné leur vie pour que le monde entende la vérité sur les objectifs cachés et les conséquences de la guerre imposée à notre pays à partir de l’Est », a déclaré le chef de l’État.

Le président a cité plusieurs figures religieuses et humanitaires victimes de la guerre, sans oublier de rappeler que « la paix n’est plus une promesse lointaine. La paix est une direction, et nous y allons ». Il a assuré que l’État poursuivait les démarches nécessaires pour obtenir un cessez-le-feu, le retrait des forces étrangères et le retour des déplacés dans la dignité.

Cependant, sur le terrain, le message du président rencontre un scepticisme profond. Pour Josué Wallay, activiste social et défenseur des droits humains, la distance entre les paroles et la réalité est douloureuse. « Le fait que, au moment de cet hommage, une bonne partie du territoire national soit encore sous occupation du M23 crée un fossé douloureux entre la déclaration d’intention et la réalité de l’abandon et de l’insécurité que subissent les populations. La reconnaissance se mesure à la protection et à la justice offertes, non pas seulement aux mots. Nous avons beaucoup souffert, les mots ne nous soignent plus », fait-il remarquer.

Il ajoute que la crédibilité des promesses présidentielles dépend des actions concrètes qui suivront. Selon lui, « la réalisation de la promesse dépendra de l’imminence et de l’efficacité des actions concrètes prises immédiatement après ce discours, et non pas de la seule déclaration d’intention. Nous avons besoin de l’espoir pour survivre mais il faudra une rupture claire avec les stratégies du passé qui ont échoué ».

Pour Josué Wallay, la résistance passe aussi par la solidarité quotidienne et la lutte pour la justice. « En tant que personne ayant vécu ces violences et défenseur des droits humains, la force de rester debout et de croire en la paix vient de l’entraide quotidienne entre voisins, familles et communautés. La lutte de la vérité et de la justice pour les victimes nous oblige à rester résistants. On ne peut pas accepter que les massacres et les exactions restent impunis. Se battre pour la justice, documenter les crimes, dénoncer l’occupation, c’est refuser de laisser les bourreaux gagner et c’est un acte de résistance qui donne un sens à la souffrance. Enfin, il y a une responsabilité morale envers la nouvelle génération. Continuer à se battre, c’est assurer qu’ils n’hériteront pas du même cycle de violence. Croire en la paix n’est pas de la naïveté, c’est un devoir », souligne-t-il.

Espoir Muhinuka, dit Aspirine, membre de la LUCHA et activiste des mouvements citoyens, adopte une posture encore plus sceptique. Il met en avant le sort dramatique des jeunes déplacés de Goma et des défenseurs des droits humains dans les zones occupées. Pour lui, « dire que notre souffrance n’est pas oubliée, c’est nous flatter par les discours, par les simples faits que les jeunes du Kivu ayant fui Goma meurent par manque de soins dans leur cavale, comme qui dirait qu’ils sont punis pour n’avoir pas accepté de collaborer avec les agresseurs. Aucun défenseur de droits humains des zones occupées n’a un jour reçu l’assistance de l’État. Dites-moi, comment ne nous a-t-on pas oubliés ? ».

Aspirine exprime également ses doutes sur la concrétisation des promesses. « Je ne sais pas si cela va se réaliser ; dans un certain sens, c’est un peu politique, mais il est encore possible, l’histoire ne fait que se répéter », laisse-t-il entendre.

A ces voix citoyennes s’ajoute désormais celle de Jean-Paul Paluku Ngahangondi, député provincial honoraire du Nord-Kivu et haut cadre de Ensemble pour la République de Moïse Katumbi. Dans une réaction adressée à tazamardc.net, il a salué le devoir de mémoire évoqué par le président Tshisekedi et dénoncé ce qu’il qualifie de contraste flagrant entre le discours et la réalité vécue.

« Il est vrai que le président Tshisekedi a, dans son message, évoqué la mémoire des martyrs et affirmé que “l’État ne vous a pas oubliés”. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre. Depuis la chute de Bunagana jusqu’à la situation actuelle à Lubero et Bukavu, nous n’avons vu que des discours et des promesses sans lendemain. Les populations continuent de mourir, de fuir, de vivre dans la peur et l’abandon. Le pouvoir actuel s’est contenté de mots alors qu’il aurait fallu des actions fortes, cohérentes et courageuses », déplore-t-il.

L’opposant estime que « le régime de Félix Tshisekedi a clairement démontré son incapacité à mettre fin à la guerre, ni par la voie diplomatique, ni par la voie militaire. Les territoires sont toujours occupés, les armées étrangères circulent librement sur notre sol, et l’autorité de l’État n’est qu’un souvenir dans plusieurs zones du pays ».

Pour Jean-Paul Paluku Ngahangondi, « face à cette faillite de leadership et à cette impuissance manifeste, la démission du président Tshisekedi pour incompétence serait un acte de responsabilité et un signal fort d’espoir pour notre peuple ».

Malgré tout, il paraît garder une note d’espérance. Selon lui, « ce qui nous garde debout, malgré tout, c’est notre attachement à la nation, notre foi en un avenir meilleur et la conviction que le peuple congolais finira par se libérer de cette gestion chaotique. La résilience de nos populations, la détermination de notre jeunesse et la vision d’un Congo réconcilié et fort, portée par notre leader Moïse Katumbi, nous inspirent à poursuivre le combat démocratique jusqu’à la victoire de la vérité et de la paix durable ».

Entre le discours présidentiel empreint d’hommages et de promesses, et les réalités douloureuses vécues par les populations, le fossé reste béant. Les habitants du Nord et du Sud Kivu attendent désormais plus que des paroles. Ils réclament des actions concrètes, une protection effective et une paix réelle qui mette fin à trois décennies de conflits et d’exactions.

Franck Kaky

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