
Dépouillée de toute substance juridique : 4 ans après, l’état de siège entre l’ironie juridique et l’échec militaire, ( Analyses)
Instauré depuis mai 2021, l’état de siège a totalisé quatre ans le mardi 06 avril 2025 au Nord-Kivu et en Ituri. Décrété dans une situation marquée par l’insécurité croissante dans cette partie du pays, ce régime exceptionnel au lieu d’être la réponse Constitutionnelle à la crise sécuritaire qui déchire ces provinces, est considéré aujourd’hui par plusieurs analystes comme une source de division entre la population, alimentant ainsi l’insécurité dans ces zones.
Prorogé en répétition au mépris des textes légaux du pays, l’état de siège constitutionnellement reconnu comme une mesure exceptionnelle, il est considéré dans le contexte actuel comme un régime normal. Selon des observateurs, dont Fabrice Saambili, cadre d’Ensemble pour la République en ville de Beni, cette mesure d’exception, censée renforcer la sécurité et lutter contre les groupes armés, est non seulement considérée comme régime de punition permanente, mais bien plus est perçue comme un échec retentissant.
« Cela ne peut plus durer, c’est un échec. Ce que nous vivons n’est plus une mesure de sécurité, c’est une confiscation de liberté. Il faut rétablir la gouvernance civile, respecter la volonté des élus du peuple, et repenser toute la stratégie de pacification de l’Est. Il en va de la crédibilité de l’État congolais », a-t-il déclaré.
Un régime qui consacre l’intolérance
À ses yeux, cette obstination du pouvoir central sur la levée de cette mesure cache une volonté d’écarter tout contrôle démocratique au profit d’une gouvernance militaire opaque. Il rappelle que c’est sous l’état de siège que Goma et Bukavu sont tombées. « Quelle ironie ! L’objectif était de restaurer la sécurité, et pourtant jamais les groupes armés n’ont été aussi actifs. Des localités entières sont passées sous occupation rebelle. L’armée manque de stratégie, et le commandement militaire s’enlise dans une gestion inefficace », s’interroge cet observateur.
Saa Mbili va plus loin et parle d’un “étouffement délibéré des institutions civiles”. Pour lui, en maintenant une mesure que même les élus locaux rejettent, le pouvoir central neutralise la démocratie locale et empêche toute solution issue du terrain. « On gouverne aujourd’hui l’Est sans les élus, sans les maires, sans les conseils provinciaux. Le peuple est privé de ses institutions, mais aussi de sa voix», renchérit cet habitant de Béni.
Le cadre d’Ensemble pour la République évoque également un “secret bien gardé” derrière cette mesure prolongée indéfiniment. Il suspecte une volonté politique de garder la mainmise sur une région stratégique, riche en ressources naturelles, tout en empêchant les critiques sur l’échec sécuritaire. Il ajoute que « c’est une politique de façade. Derrière le discours sécuritaire, se cachent des enjeux de contrôle, de rente et de manipulation».
Une mesure juridiquement en désuétude
Le maintien de cette mesure au-delà des attentes Constitutionnelles, porte atteinte à sa nature réagit pour sa part Stewart Muhindo, défenseur des droits humains et activiste au sein du mouvement citoyen, Lutte pour le Changement (LUCHA).
« L’État de siège, c’est une mesure d’exception, elle n’est pas appelée à être permanente dans la gestion des affaires publiques. Ça fait maintenant quatre ans qu’on est sous état de siège, mais malheureusement la mesure qui exigeait des mesures exceptionnelles est devenue normale. Il y a plus pratiquement au niveau de l’Assemblée Nationale des débats sur l’inefficacité de cette mesure, c’est devenu comme une gouvernance de fait qui s’installe dans les entités sous état de siège. Sur le plan plan juriste, bien que la mesure continue à tenir sa légalité, mais elle ne se justifie pas du fait que c’est une mesure déception, mais on voit qu’elle dure pratiquement dans le temps et elle est sur plan de prendre tout un mandat politique de 5 ans», a-t-il expliqué.
Cet activiste note qu’au-delà des irrégularités juridiques et politiques, l’état de siège a été dépouillé de toute sa substance même sur le plan militaire. Il évoque les échecs opérationnels contre les groupes armés locaux, coalisés actuellement avec les Forces Armées de la République démocratique du Congo (FARDC), pour combattre les rebelles du M23. Il indique tout de même que c’est pendant l’état l’état de siège, que l’autorité de l’État a été perdu sur l’ensemble des provinces généralement gouvernées par les groupes armés.
« C’est une sorte d’exclusion que subissent les populations du Nord-Kivu et du Sud-Kivu depuis maintenant 4 ans. Sur le plan juridique, politique et militaire l’état de siège est une catastrophe car c’est une mesure inefficace. La mission pour laquelle il était instauré n’a jamais été réalisée, car le rétablissement de la paix et de la sécurité, n’ont jamais été effectif depuis son instauration. Je pense qu’il faut corriger ces irrégularités qu’elles soient juridiques, politiques et même de gouvernance en restaurant l’autorité civile et remettre l’armée à sa place notamment à combattant les ennemis de la République et permettre aux autorités civiles de s’occuper des activités dans qui ressortent dans leur compétence », conclut-il.
Azarias Mokonzi