10 ans des tueries à Beni : la population oubliée ou sacrifiée ? - Tazama RDC
10 ans des tueries à Beni : la population oubliée ou sacrifiée ?

10 ans des tueries à Beni : la population oubliée ou sacrifiée ?

Depuis octobre 2014, la région de Beni, située à l’extrême nord du Nord-Kivu, est le théâtre d’attaques d’une rare violence, en dépit des opérations militaires en cours dans la zone.

Ces atrocités, attribuées aux terroristes islamistes des Allied Democratic Forces (ADF), qui ont prêté allégeance à l’État islamique depuis fin 2017, surgissent dans des agglomérations et des villages, tuant enfants, hommes, femmes enceintes, villageois, sans épargner personne. Une véritable boucherie humaine s’est installée dans la région à cause de ces assaillants. Les images qui découlent de ces massacres sont épouvantables, affreuses et teintées de terreur et de cruauté.

Un rappel accablant

Ce mercredi 2 octobre, les habitants de Beni se sont souvenus du début de ces massacres à Kokola. À cette date, on apprend des tueries dans cette région. Des civils sont décapités, des enfants mutilés et des femmes enceintes éventrées par ces rebelles. Plus de 20 morts sont répertoriés ce jour-là. Ce cycle ne tardera pas à se poursuivre dans d’autres régions, touchant même la ville de Beni le 15 octobre à travers le quartier Ngadi. Ce phénomène deviendra endémique jusqu’à la tenue du premier procès contre les auteurs et complices de ces massacres.

Certains considèrent ces violences comme fratricides, accusant une lutte sanglante entre frères. Cette situation va prendre une ampleur terrifiante, touchant même les autorités, qui manifesteront un désintéressement et une désolidarisation vis-à-vis des victimes. Des opposants au président Joseph Kabila profiteront de cette situation pour l’accuser d’en être l’auteur, ce qui leur permettra de se faire une renommée politique et une publicité électorale. Lors des législatives de 2018, les proches de Joseph Kabila seront sévèrement sanctionnés par les urnes, mais en dépit de cela, les tueries continueront, touchant même l’Ituri, qui était jusque-là épargné.

10 ans après, la situation reste chimérique

En dépit des multiples opérations en cours dans la région de Beni, le cycle infernal des massacres n’est toujours pas stoppé. Les vies humaines continuent de périr en raison de l’absence de l’autorité de l’État dans la zone. Le professeur Dady Saleh, un acteur politique indépendant œuvrant à Goma, tout en condamnant la persistance de ce mouvement sanglant, pense que les leaders politiques de l’Est ne jouent pas correctement leur rôle, ce qui revient à une complicité indirecte.

« Nous avons un leadership qui ne fait pas encore ce qu’il faut pour que nous puissions nous sortir de cette situation. Dix ans, c’est quand même beaucoup pour que nous prenions conscience et disions qu’on en a vraiment assez. Beaucoup de nos leaders semblent complices de cette situation à cause de leur silence, c’est vraiment un silence complice. Ils sont coupables indirectement, ils s’intéressent aux postes. Le comble, c’est que la population nous ramène les mêmes personnes qui ne trouvent pas de solutions à nos problèmes. Le peuple doit se réveiller, ce n’est pas possible que l’on continue à être tué tous les jours et à applaudir ceux qui sont moins intéressés par notre situation », a déclaré le professeur Dady Saleh.

Ce dernier appelle à des sanctions sur le plan national et international contre les auteurs de ces crimes, et à une mobilisation citoyenne pour dire non à ces massacres. Il conteste la collaboration militaire entre la RDC et l’Ouganda, pays cité dans la complicité de la balkanisation du pays.

« Ces opérations avec l’Ouganda visent à repousser l’ennemi loin de la frontière ougandaise, et c’est ça le plan. Pour l’instant, c’est l’application de l’article 63 qui exige une mobilisation politique et militaire », a-t-il précisé.

Cependant, grâce aux opérations conjointes des FARDC et de l’UPDF, les efforts ont été visibles sur le terrain, reconnaît pour sa part Maître Justin Matete, coordonnateur de l’ONG « Forum de Paix » à Beni, qui déplore que le degré des efforts ne soit pas proportionnel aux résultats. Selon lui, un autre facteur qui freine la réussite des opérations est la complicité interne qui touche la population locale et les services de sécurité.

« Il y a cependant des efforts qui sont déployés à travers différentes opérations, mais le paradoxe est qu’il existe une disproportion dans les résultats. Le phénomène des massacres profite à certains, mais on ne présente que des petits poissons. La complicité locale est l’un des moyens utilisés par les criminels. L’infiltration est totale et multidimensionnelle. On se concentre beaucoup plus sur les conséquences que sur les causes », regrette Maître Justin Matete, qui déplore que le problème n’ait pas encore été abordé de manière significative.

En effet, il n’y a pas que des civils qui meurent dans ce théâtre sanglant ; des militaires perdent également la vie, que ce soit sur différentes lignes de front ou à travers certaines attaques lancées par ces terroristes. On compte plus de 20 000 morts depuis le début de ces massacres dans la seule région de Beni, sans mentionner les personnes déjà enlevées.

Cette situation est rarement évoquée par la communauté internationale, dénonce un habitant qui appelle le gouvernement congolais non seulement à mettre fin à ces tueries, mais aussi à activer les instruments diplomatiques pour porter cette situation à l’attention des grands forums politiques à travers le monde.

« Le silence de la communauté internationale est soit coupable, soit complice de cette situation. Le gouvernement doit non seulement lutter pour mettre un terme à ce phénomène, mais aussi activer la diplomatie en faveur des victimes », a-t-il recommandé.

Azarias Mokonzi

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