RDC/Sécurité : « L’armée ougandaise intervient dans le respect de la légalité de notre pays » (Bhelar Mbuyi)
Les réactions viennent de plusieurs acteurs de la vie politique et sociale en RDC depuis l’entrée de l’armée ougandaise sur le sol congolais pour des opérations contre les ADF, depuis ce mardi 30 novembre 2021. Belhar Mbuyi, journaliste indépendant et écrivain congolais en parle aussi. Dans cette exclusivité accordée à Tazamardc.net, cet expert de la région des grands lacs expose ce qu’il pense de la venue des troupes Ougandaises en RDC, son importance et ce qu’il en entrevoit comme résultats.
[Tazama RDC] : Que pensez-vous de l’annonce de l’entrée des troupes ougandaises au en RDC ?
[Bhelar Mbuyi] : Ce n’est pas une surprise pour moi. En effet, il vous souviendra que, les 24 et 25 octobre 2019, il s’était tenu à Goma, une réunion des cadres dirigeants des forces armées de la région dont l’objectif était d’acter la création d’un «état-major intégré» des armées de la région (Burundi, RDC, Rwanda, Ouganda, Tanzanie). Cet état-major intégré devait ouvrir la voie à la participation de soldats de ces pays à des opérations contre les groupes armés dans l’Est de la RDC. On avait noté ainsi la présence du chef d’Etat-major de l’armée congolaise Célestin Mbala, du chef des forces terrestres ougandaises Peter Elwelu, du chef des renseignements militaires rwandais Vincent Nyakarundi et d’observateurs de la Monusco et du commandement de l’armée américaine en Afrique (Africom). La réunion avait capoté à l’époque à cause des questions d’ego et des calculs politiques entre ougandais et rwandais. Mais il m’apparaissait clair que la question serait à nouveau mise sur table car, dans le fond, d’une part, outre les sempiternelles FDLlR, les dernières années du pouvoir de Joseph Kabila ont renforcé la présence des mouvements rebelles hostiles aux pays voisins. Je pense ici aux RED-Tabara du Burundi soutenus par le Rwanda ; au CNR du Rwanda soutenu par le Burundi, sans parler des ADF qui se sont convertis en un mouvement terroriste particulièrement sanglant, qui massacre au quotidien en RDC et organise des attentats en Ouganda. D’autre part, l’armée congolaise a des problèmes structurels qui ne peuvent lui permettre de faire face à la fois à tous ces mouvements étrangers et à plus de 120 groupes armés nationaux. Je m’attendais donc à cette mutualisation des forces au niveau de la région afin de combattre ces ADF.
[Tazama RDC] : Que va gagner le Congo dans ces opérations ?
[Bhelar Mbuyi] : L’idéal aurait été de neutraliser nous-mêmes tous les groupes armés, nationaux comme étrangers, qui écument le pays, de l’Ituri au Sud Kivu, en passant par le Nord Kivu. Cependant, la réalité est telle que, en ce qui concerne particulièrement ce cas des ADF, la RDC fait face, depuis plus de 7 ans, à un groupe armé ougandais, qui massacre ses populations, sans qu’elle parvienne à le neutraliser. En se mettant ensemble avec les ougandais qui viennent ainsi combattre leurs propres compatriotes, qu’ils connaissent sans doute mieux, cela peut aider à annihiler ce groupe terroriste, à pacifier cette partie du pays et restaurer l’autorité de l’état. C’est l’espoir que je développe.
[Tazama RDC] : L’Ouganda et Rwanda sont en froid depuis un moment, les troupes rwandaises entrent à plusieurs reprises en RDC, ne craignez-vous pas une guerre entre les deux pays sur le territoire congolais, le cas de Kisangani en 2000 ?
[Bhelar Mbuyi] : Il est vrai que, si les tractations autour de la mise en place d’un état-major intégré avait échoué à cause de l’Ouganda qui avait finalement refusé de signer la déclaration finale. Selon plusieurs sources militaires et diplomatiques, Kampala rechignait à former un corps expéditionnaire régional commun avec Kigali. Cependant, il faut relever que les circonstances sont nettement différentes. En juin 2.000, les deux pays soutenaient et venaient en appui à une fraction du mouvement rebelle du RCD, et chacune de ces fraction revendiquait le contrôle de la ville pour faire valoir son droit exclusif à représenter ce mouvement aux négociations des accords de Lusaka. Alors que, aujourd’hui, il s’agit d’un pays invité par le gouvernement légitime de la RDC dans le cadre d’une mutualisation des forces avec l’armée régulière contre un ennemi commun qui est, rappelons-le, ougandais.
[Tazama RDC] : La province de l’Ituri a toujours eu des mouvements milices locaux d’autodéfense contre l’Ouganda depuis les années 1999, cette décision ne va-t-elle pas les renforcer ou faciliter la création d’autres groupes ?
[Bhelar Mbuyi] : Disons d’abord que la plupart des groupes armés qui ont vu le jour en Ituri, les UPC, FPIC, PUSIC etc, n’étaient pas des mouvements d’autodéfense contre l’Ouganda, mais des milices tribales qui cherchaient à massacrer les ressortissants d’ethnie rivale. Très souvent, ils ont été soutenus par des officiers ougandais en fonction des affinités ethniques. On a remarqué ces dernières années l’émergence du mouvement CODECO, essentiellement Lendu, qui brille par ses terribles massacres des populations de l’ethnie Hema. Ce mouvement doit être combattu et annihilé. Je ne sais pas si, à ce stade, l’armée ougandaise peut s’attaquer aussi à des groupes congolais.
[Tazama RDC] : Les frontières maritimes entre les deux pays souffrent déjà de l’expansionnisme ougandais selon plusieurs pécheurs, ne craignez-vous pas des nouvelles arrestations vu que les UPDF seront de deux côtés de la frontière cette fois ?
[Bhelar Mbuyi] : Cette question doit être traitée au niveau diplomatique. A ma connaissance, la marine ougandaise emprisonne des pêcheurs congolais qui pénètrent dans les eaux territoriales de leur pays.
[Tazama RDC] : Les opérations militaires avec le Rwanda ont eu comme effet la disparition spectaculaire de certains soldats rwandais sur le territoire congolais sans retourner selon plusieurs sources, comment s’assurer que les ougandais ne vont pas faire pareil ?
[Bhelar Mbuyi] : Je ne sais pas si des soldats rwandais ont disparu spectaculairement dans notre pays ! Depuis l’époque de Kabila, nous savons que, suite à des ententes secrètes, des contingents d’officiers des renseignements ou des forces spéciales rwandais opéraient discrètement en RDC pour traquer les FDLR. Je ne sais pas si c’est à cela que vous faites allusion. Je ne peux pas dire s’il sera prévu ce genre de dispositions avec l’Ouganda. Insistons sur le fait que l’armée ougandaise intervient officiellement aux côtés de nos FARDC, dans le respect de la légalité de notre pays. Ne développons des discours du genre : on va balkaniser le Congo ! C’est de la paranoïa pure et simple.
Akilimali Saleh Chomachoma